Collège de Gynécologie du Centre-Val de Loire

 

De la féminité à l’état amoureux
Dr Colette Combe

Considérons la question du développement de la féminité après traitement de l’anorexie. Nous prendrons pour témoin la survenue de l’état amoureux et son évolution. Et nous nous demanderons de quelle manière accompagner les patientes qui nous consultent à cette étape de guérison de leur anorexie, dans le désir de voir s’épanouir leur féminité et leur rencontre du masculin.

Il nous faut d’abord examiner les écueils rencontrés après traitement de l’anorexie. Qu’il y ait déjà retour des règles ou que les règles surviennent à peu près en même temps que l’ouverture de l’état amoureux, dans ces deux cas, il pourrait y avoir, dans ces circonstances, l’amorce d’un mouvement de retour en arrière. Les temps premiers de survenue et d’évolution de ce vécu amoureux, - qu’il soit nouveau ou qu’il soit premier -, peuvent malheureusement devenir l’occasion d’un arrêt de maturation de la féminité en cours de développement: qu’il y ait rechute de la conduite anorexique, ou retour à une relation à soi sans véritable expérience d’intimité partagée. L’expérience de la sexualité s’avère recherche de l’intensité de l’excitation, d’une manière plus auto érotique que véritablement inscrite dans la relation de proximité avec l’autre.

La possibilité de vivre un état amoureux après anorexie devient réalité lorsqu’adviennent le désir et la possibilité de laisser vivre sa réceptivité féminine au masculin. Il faut bien entendu qu’il y ait eu tout un mouvement de rétablissement du fonctionnement hormonal, pas seulement au niveau des œstrogènes et de la progestérone mais aussi au niveau du cortisol et de la triodothyronine. Lorsque l’état de survie, induit par le trouble de la conduite alimentaire, se corrige, le taux de cortisol, qui avait considérablement augmenté, retourne à la normale. L’état de stress somatique (par dénutrition et troubles du sommeil) disparaît. Il faut par ailleurs qu’il y ait un rétablissement au niveau de la base T3 car il semble que les troubles de perceptions qu’on observe durant l’anorexie soient en partie due à la diminution de cette hormone thyroïdienne. Enfin l’état de stress psychique souvent demeure. Il doit être alors pris en considération car il se réactive facilement devant les difficultés normales de la vie, en particulier celles de la vie amoureuse. Une émotivité considérable et désorganisante est en effet apparue lorsque la patiente a souhaité sortir de l’anorexie et s’est aperçu qu’elle n’y parvenait pas toute seule, malgré son désir. La confiance en soi-même, en particulier la confiance dans ses propres perceptions reste fragile. Un traitement psychothérapeutique est donc souvent opportun, dans le temps qui suit la guérison des symptômes qu’ils soient boulimiques ou restrictifs.

Les modifications du fonctionnement hormonal et biologique accompagnent les transformations de la vie intérieure vis à vis de soi et d’autrui. Pouvons nous établir des points de corrélations et tenter de saisir leurs interactions à l’interface du somatique et du psychique. Partageant nos compréhensions de psychanalyste et d’endocrinologue, les Professeurs Jacques Tourniaire, Michel Pugeat et moi-même avons suivi parallèlement les mêmes patientes jusqu’à leur guérison et ultérieurement jusqu’aux premières années de leurs enfants, ce depuis vingt cinq ans. Au sein de l’équipe pluridisciplinaire de soin et de recherche de la fédération d’endocrinologie du pôle Est de Lyon, un travail de thèse (celle du Docteur Maryline Ronze) s’en est suivi. Cette thèse étudie le devenir de l’anorexie traitée, pas seulement sur des critères de guérison issus du point de vue du médecin mais aussi selon des critères subjectifs propres aux patientes. Quand on cherche des critères de guérison de l’anorexie objectivement et strictement médicaux, on est vite en difficulté pour affirmer la guérison. Les patientes semblent plus à l’aise pour dire si subjectivement, elles n’observent plus en elles de perturbation de la relation aux repas et si, au côté du retour des règles, le désir sexuel est revenu (ou advenu) ou pas.

 

Comment décrire ce qui se passe de spécifique pour elles lors de l’ouverture à l’état amoureux ?

Quand il y a levée de l’anesthésie qui vient de toutes ces perturbations hormonales, quand il y a un retour à l’alternance faim satiété, donc un retour de la rythmicité et de la chronobiologie, un ensemble de signes annonciateurs de la guérison apparaissent. Ils sont les suivants :

¤ le rétablissement du sommeil et des rythmes nuit/jour, faim/satiété,

¤ le rétablissement de la perception et de la sensorialité,

¤ au niveau de la perception de la vie corporelle, l’apparition du sentiment de fatigue (perception jusque là altérée par l’effet euphorisant et anesthésiant du cortisol élevé),

¤ au niveau de la perception de la vie psychique, l’apparition d’un état de tristesse qu’on pourrait confondre avec le début d’un état dépressif.

Il ne s’agit pas d’un état dépressif grave mais plutôt d’un état dépressif lié au remaniement intérieur, au développement de la féminité. C’est un état sensible de malléabilité et d’adaptabilité, un état de sérieux et de concentration sur lequel se greffent des moments de culpabilité : elles réalisent soudain le mal qu’elles ont fait tant à leur corps qu’à autrui (leur mère et leur père, en particulier). Sur fond d’un travail psychique de croissance, de maturation, de responsabilité, leur corps se transforme. La psyché en réponse au changement corporel, reçoit des ondes de choc bouleversantes. La patiente éprouve alors un vif sentiment de discontinuité de son identité, comme cela se produit par ailleurs dans la période de pré puberté.

Dans ce contexte, des cauchemars apparaissent. Le travail de rêve se remet en route, d’abord sous la forme de cauchemars. Les cauchemars sont des rêves en état d’ébauche. Ils ne maintiennent pas le sommeil mais réveillent sur une image interrompue. Le désir n’a pas trouvé son chemin plus avant par l’intermédiaire du travail de rêve. La rêveuse s’est vue expulsée de sa rêverie. Elle s’est réveillée dans un état affectif et émotionnel intense. Elle s’est sentie un moment confuse, ne sachant pas si elle était véritablement réveillée ou endormie. Elle est parfois sans autre trace du rêve que l’affect de terreur dans lequel elle se retrouve inquiété, hors de la possibilité de reprendre l’état de repos. Elle doit d’abord se lever un moment, aller boire…pour se calmer. Pourtant, grâce à ces dérapages éprouvants du travail de rêve, le mouvement nocturne du désir se fraye à nouveau des voies de circulation. La patiente revient dans son corps charnel, elle rentre dans le temps présent, elle retrouve la saveur des souvenirs et peut s’imaginer disponible pour un avenir, encore inconnu, avec un autre.

C’est alors qu’advient, la plupart du temps, un état amoureux., l’amour advient. On dirait qu’à ce moment subjectif où la personne se sent dans un état d’ouverture, disponible à ce qui pourrait survenir, quelqu’un vient à elle. Les patientes au sortir de l’anorexie et de l’aménorrhée vivent la rencontre amoureuse avec le sentiment que quelqu’un, tout naturellement vient au devant d’elles parce qu’en fait, elles ne sont plus fermées à cette approche. Elles commencent à percevoir qu’elles sont désirées parce que de nouveau désirables. Leur maigreur n’est plus terrifiante, leur silhouette n’est plus désagréable, elles n’éloignent plus les hommes par leur aspect. Il leur faut cependant beaucoup de temps pour accepter profondément cette approche, incertaines qu’elles sont d’en être la cause dans tout leur être, encore souvent choquées d’être aimées dans leur corps, se demandant si c’est elles toutes entières qui sont élues ou seulement leur corps. D’où la nécessité de les accompagner pour qu’elles puissent poursuivre le changement en cours. En effet leurs transformations somato-psychiques pourraient les persécuter. Au lieu de s’épanouir, leur féminité pourrait s’étioler à peine éclose, si elles ne parvenaient pas à décrypter la complexité subjective de ce qui croit en elle ; un désir de rencontre de l’autre, tout autant que d’elle-même devenue autre.

Dans ce cas, le vécu du désir et de la vie amoureuse commence par la question de l’intensité sensorielle. Il semble important pour elles de percevoir vraiment la sortie des effets toxicomaniaques de l’anorexie (restrictive, ou ayant pris la forme de boulimies ou vomissements, ou boulimies et prise de laxatifs). Car le risque existe d’entrer dans la recherche d’une sexualité " toxicomaniaque ", désirée pour l’intense, l’excès, l’extrême uniquement , et non pour l’intime partagé ou partageable. Lorsqu’elles parviennent à décrire et à formuler les écarts entre des perceptions qui se transforment, s’enrichissent et se nuancent, elles intériorisent au sein de leur propre subjectivité, la présence d’émois sexuels d’abord ressentis comme inassimilables.

En effet, la recherche de l’intensité sensorielle de l’excitation, celle de la sensation la plus aiguë, jusqu’à la douleur, peut les faire penser à leur expérience de l’anorexie et déclencher de l’angoisse. L’attention aux nuances, à la variété des impressions au contraire dissout l’angoisse éprouvée. Le maintien de la toxicomanie va en effet avec de la fadeur, - un état qui a toujours le même goût même s’il est extrême. Entrer dans l’attention aux nuances, c’est entrer dans le culturel, c’est rencontrer l’autre et toutes ses traditions. C’est vrai au niveau du goût, de la culture du repas et de la convivialité; c’est vrai aussi au niveau de la vie amoureuse. Cette diversification passe par la parole et le partage de l’intime, la vie fantasmatique et le partage de la vie fantasmatique à deux.

Vivre une intimité à deux, est-ce possible après une anorexie ? Il nous faut préciser les nouveaux écueils rencontrés lorsque ces patientes renoncent à chercher seulement l’intensité sensorielle pour l’intensité. Elles essaient d’écouter à l’intérieur d’elles comment elles reçoivent l’autre et la difficulté princeps se précise : il n’est facile pour elles de laisser se déployer l’espace de l’intime. Elles sont anxieuses dans la relation à l’autre comme dans la relation à elles-mêmes car elles ont la secrète sensation qu’elles sont là et qu’en même temps, elles ne parviennent pas totalement à être présentes à ce qu’elles vivent. L’autre est à côté, encore dehors, elles sont attentives à ses propres désirs à lui et pourtant, pas vraiment. Que se passe-t-il ?

On ne peut pas dire qu’il s’agisse d’un mouvement phobique parce qu’il n’y a pas d’évitement ni de véritable inhibition. Il s’agit plutôt du vécu disséquant d’une dualité interne entre le désir de présence et le besoin de retrait après la proximité. Elles disent qu’après ce qui est bon, - aussi bien un repas convivial qu’un moment amoureux partagé- , elles ressentent l’impérieuse nécessité d’une solitude farouche. Il faut qu’elles se retrouvent. Elles se sont donc perdues au contact ? La proximité leur fait peur. Elles ont en effet besoin de se retrouver seule pour être sûre d’exister sans l’autre, à peine se sont-elles senties exister au contact de l’autre. Ont-elles peur de l’autre ?

Cette vulnérabilité tient à une émotion d’effroi au contact de l’autre masculin. N’est-ce pas souvent le propre de la féminité devant la difficulté de percevoir, reconnaître et accepter les différences profondes, et mêmes radicales entre homme et femme, pour ce qui est la vie amoureuse et sexuelle ? La femme serait-elle quelque peu anorexique en amour plutôt que de chercher à intégrer cette réalité dans toute son ampleur intime ? A côté des considérations de structure névrotique, psychotique ou état limite, faudrait il faire la place à une structure psychique de la féminité tentée par le refus de la réalité des différences de sensibilité et de conduite entre les sexes ?

 

Essayons d’avancer au contact de cette complexité.

On pourrait considérer qu’il existe une spécificité du féminin relative à la perception de l’espace entre dedans et dehors. Le vagin fait vivre l’impression d’un espace d’ouverture à deux feuillets, en analogie avec celui de la bouche : un feuillet d’ouverture aux lèvres, un autre au fond du sas qui sépare et relie dehors et dedans. Lorsque l’anorexie guérit, la vie relationnelle et affective, vue du feuillet externe, est relativement solide et relativement souple. Mais au fond, quelque chose demeure subjectivement immobile, inanimé en profondeur, et ces anciennes patientes ont encore le sentiment qu’elles n’y sont pas présentes par la pensée. Elles y sont en apparence et c’est vrai ; ça n’est pas faux, elles y sont. Mais elles ont le sentiment qu’une partie d’elle ne vit pas dans cette relation intime, au fond d’elle, physiquement tout autant que psychiquement. Défaut de perception, défaut de représentation interne ? C’est inextricablement l’un et l’autre.

Toute la difficulté de la relation à l’intime après anorexie s’y retrouve. Ce feuillet intime de l’ouverture, (comme on parle d’intima pour le feuillet interne de la paroi artérielle), est immobile parce que le fait de recevoir l’autre dans le creux du féminin, - qu’on le pense au niveau de la relation physique ou que ce soit au niveau de la relation psychique affective - , leur fait rencontrer une douleur intime. Et dans l’intime, une douleur informe et terrorisante est tapie. Vivre ce moment d’intimité partagée, c’est la retrouver. Il y a dans la relation intime, quelque chose qui n’a pas de forme, c’est à dire qui ne se met pas en mots, qui ne peut pas s’expliquer et qu’il va falloir aller chercher.

La technique psychothérapeutique suppose alors d’aller chercher les mots justes, les métaphores et les images pour faire venir à la subjectivité quelque chose qui n’y est pas encore. Cette douleur existe dans la relation intime à deux mais elle est terrorisante comme un fantôme dont on ne prévoyait pas le retour. La présence simultanée du désir et de la terreur explique peut-être l’apparition de cauchemars pendant la période de déploiement de l’espace d’intimité, entre dedans et dehors. Le travail de parole sur les cauchemars est essentiel pour transformer ces vécus de terreur, qui ne sont pas sans ressembler aux états de terreur nocturne du nourrisson, un lieu d’élaboration de la distance intime avec autrui, lorsqu’il est un être cher, un être qui pourrait manquer et faire souffrir, un être qu’on pourrait faire souffrir à son tour avec cruauté.

 

Les formes d’anorexie avec boulimie normo pondérale présentent souvent une vie sexuelle conservée. Or ces patientes cachent dans la clandestinité leur trouble d’intimité comme leur trouble alimentaire. Grâce à la thérapie, des mouvements de transfert permettent de mettre en évidence ce qui se déplace du lien à la mère vers d’autres liens, et en particulier, ce qui peut se déplacer ainsi en direction du lien à l’homme.

Il semble que dans le lien à la mère, l’adolescence n’a pas permis le développement d’un lien plus complexe entre mère fille, fait de tendresse tout autant que d’agressivité. Un lien unit la mère à la fille. Le lien tendre, complice et gai, a une fonction initiatrice. Il se rend visible dans les transmissions de l’art du maquillage et de l’habillement. Il prépare à la séduction. Mère et fille parlent ensemble de l’avenir de la féminité, la mère transmet, la fille reçoit, et peu à peu, l’inverse arrive aussi, la fille transmet, la mère reçoit et rajeunit… Au côté de ce lien, un autre lien, conflictuel, s’anime, centré sur la rivalité entre mère et fille. Or dans le cas de l’anorexie, les deux liens, tendre et agressif, n’existent pas simultanément, ni l’un ni l’autre n’a son champ. Ce lien sur la rivalité que permet-il ? Il permet de faire ses armes, en quelque sorte de faire de l’escrime à épées mouchetées, pour manier cette dimension du féminin qu’est la violence féminine, une destructivité que toute femme va devoir rencontrer en elle ensuite pour s’approprier sa relation à l’homme.

Or on verra ces patientes terrorisées au moment où l’intime leur fait rencontrer le désir destructeur en elles dans la relation à l’homme parce qu’elles n’ont pas rencontré ce désir dans la relation à leur mère. Elles ne l’ont donc pas apprivoisé comme quelque chose qui existe, qui fait partie de la nature humaine, qui se partage dans la tendresse et qui se contient dans la tendresse. On pourrait donc dire qu’elles en restent à une identification à leur mère qui ressemble à une identification à un leader. Elles sont fusionnelles et se conforment à l’autre. En même temps, elles vivent la relation à leur mère comme une contrainte, comme une influence, comme celle du leader où elles fusionnent. Elles sentent bien que ce n’est pas une appropriation qui serait aussi une différentiation, demandant assimilation et intériorisation.

Elles n’ont pas de ce fait encore établi un processus d’identification au féminin, qu’on puisse appeler subjective ou subjectivante, qui leur permette de se sentir propriétaire de leur féminité et de pouvoir l’offrir à l’autre sans avoir peur de la perdre.

Prenons l’image de Peau d’âne. Pour s’emparer des belles robes de la mère, Peau d’âne demande à son père des robes magnifiques, couleur du soleil, de la lune et du temps. Ces patientes ne peuvent pas le faire autrement qu’en n’ayant beaucoup de honte. Elles ont recours au fait de se cacher sous une peau d’âne, tellement elles ont peur de la rencontre du masculin. Car elles ont peur de la rencontre de leur père, dans un contexte où la mère n’a joué ni le rôle d’obstacle, c’est ça la rivalité, de dire que c’est pas leur place, la place de femme auprès de leur père, ni le rôle d’initiatrice en pensant à un autre homme.

En quelque sorte, leur intimité reste clandestine, dans leur relation à leur mère. Elle reste secrète Et le rôle du thérapeute ou de l’analyste, c’est d’amener au jour cette potentialité de travail sur la destructivité. Et comment dans l’actuel ?

Dans l’isolement durant l’hospitalisation, on peut le travailler en équipe. C’est toujours un signe de guérison quand l’agressivité apparaît dans la relation soignante, dans la contestation et tout son cortège de mouvements adolescents. Mais au moment de l’intime de l’état amoureux, la destructivité, dans la relation au masculin et à l’homme, va de nouveau devoir être traitée. Elles vont par exemple avoir du mal avec leurs phrases piquantes, des mots d’envie, de rivalité avec le masculin.

Elles vont éprouver une espèce de honte qui a trois aspects. Honte à dire leurs mouvements agressifs, l’envie de prendre le masculin ; honte à dire quelque chose du vécu du corps dans cette dimension violente de la réception féminine et honte à dire aussi à l’analyste. Honte du corps, honte de l’agressivité, honte de la parole sur l’intime. C’est donc en fait ça aussi le rôle du thérapeute: aller chercher la honte pour la reconnaître comme un premier mouvement de subjectivation, et non pas l’effacer en considérant qu’il n’y a pas de honte à parler du sexuel, de l’amoureux, de l’intime. Au contraire, la honte est peut-être l’enveloppe, la première peau, la peau d’âne qu’elles peuvent prendre au moment de lâcher l’anorexie comme une enveloppe contenante.

A propos des patientes que nous avons suivi depuis une trentaine d’année, certaines ont leurs enfants adolescents, et rencontrent avec leurs filles adolescentes, des mouvements de panique et des mouvements dépressifs à nouveau parce qu’elles doivent faire le chemin qu’elles n’ont pas pu faire avec leur mère. Leur fille, qui va mieux elle, peut avoir à leur égard des mouvements agressifs tout en étant très tendre en même temps avec leur mère, alternant les deux mouvements. Nous avons rétrospectivement demandé à ces patientes de nous parler du choix amoureux qui a fait leur, celui sur lequel elles ont construit votre vie et qui est là encore et qui tient. " Qu’est ce que vous en diriez, par rapport au traitement et au suivi que vous avez eu en endocrinologie avec nous? "  Elles montrent qu’il y a une sorte d’analogie entre leurs critères de choix amoureux et leur vécu de la relation soignante. Voici ce qu’elles en disent : quelqu’un avec qui il est possible d’être libre, de vivre le lien amoureux comme une liberté, et non pas de vivre le lien amoureux comme une contrainte, comme une chose à quoi il faut se soumettre.

Nous avons aussi remarqué que tout ce qui peut être interprété dans la relation soignante en terme de sadomasochisme, n’a pas d’effet à long terme pour maintenir la guérison, alors que ça a pu marché à court terme pour obtenir une première amélioration. Ce mode d’interprétation ne mène pas vers la guérison. Leur façon de définir les critères de se sentir libre confirme cette impression relative à la technique thérapeutique.

Sentir chez l’autre une capacité à leur donner des repères leur a été utile. Elles ont déjà recherché cela dans la relation de traitement psychosomatique. Comprendre les sensations et être initiée à la vie fantasmatique qui est un domaine inconnu pour elles lorsqu’elle n’est pas centrée sur l’intensité mais qui crée des scènes amoureuses qui peuvent se partager dans le lien amoureux.

Enfin, l’investissement dans la permanence est un critère essentiel pour elle. Elles cherchent à avoir la certitude qu’il ne partira pas malgré la difficulté pour elle à assumer les crises de couple et en particulier qu’il ne prendra pas les conflits comme quelque chose où il aurait été en cause, mais comme quelque chose liée à leur propre difficulté interne. Il a été décisif pour elle de n’avoir jamais été ressentie dans leur relation comme quelqu’un de malade mais comme quelqu’un ayant par moment des difficultés. Notre façon de soigner doit comporter cette dimension. Nous devons considérer ces patientes après traitement de l’anorexie réussi comme pouvant cependant rencontrer des difficultés dans la vie amoureuse, dans les moments du post partum, dans le moment de l’adolescence de leur fille et les considérer avec elles comme des moments difficiles sans penser, tout de suite, rechute ou non guérison.

Cette question de l’intime et de la destructivité qui sert d’enveloppe contenante aux mouvements de prendre  est essentielle ? La destructivité est le mouvement de s’emparer et de prendre. Elles le vivent au début comme un arrachement et non pas comme le fait d’ouvrir sa main pour recevoir à l’intérieur. C’est donc, in fine, le geste d’aller prendre qui réveille en elles une douleur intime

Les figures d’immobilisation du feuillet intime sont liées à des conjonctures du couple parental d’autrefois. On pourrait donc prendre ces situations difficiles de la vie amoureuse du côté de l’environnement en conseillant une thérapie familiale systémique lorsqu’elles sont encore toutes jeunes, en fin d’adolescence et au début du passage à l’âge adulte. On peut aussi les aborder au niveau de la subjectivité et de l’intégration des mouvements agressifs dans le féminin. Deux conjonctures particulières n’ont pas été développées dans ce texte, celle de la perte de la mère interne, en raison d’un contexte incestuel, et celle de la perte de la mère interne en raison d’une mère peu vivante ou froide, ou d’une mère décédée prématurément. Les deux cas de figures donne la même difficulté à aller du père intérieur à la mère intérieur à la mère. Les vécus de séduction précoce, en particulier celles des frères, des cousins, des oncles, des grands parents, sont fréquents dans les antécédents d’anorexie. Mais c’est un problème qui demanderait à lui seul un autre exposé.

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