Collège de Gynécologie du Centre-Val de Loire

Congrès du Vinci du 13 décembre 2002

Grossesse à l'adolescence:
étude comparative avec l'adulte jeune

Caroline ROS - S.U.P.E.A. Poitiers

La littérature sur le sujet est abondante au niveau des aspects médicaux, psychologiques et sociaux évalués à partir d'études transversales et rétrospectives. En revanche, rares sont les écrits qui évaluent les interactions précoces mères bébés.

De plus, nous avons remarqué que les études cas-témoin comparées des mères adolescentes à des mères plus âgées,
sans critérisation particulière.

Ainsi, il nous est apparu intéressant de mener une étude prospective régionale multicentrique. L' objectif était de comparer
un échantillon de mères adolescentes à un échantillon identique de mères adultes jeunes de même milieu socio- économique, paramètre extrêmement important en la matière et de voir si nous trouvions des différences significatives sur divers aspects pouvant être imputable à l'adolescence. Outre les aspects familiaux, médicaux et psychologiques, nous avons étudié la qualité des interactions précoces mère-bébé.

Les critères d'inclusion étaient les suivants : pour la population clinique (adolescente) : être primipare et âgée de moins de
18 ans en début de grossesse, pour la population témoin (adulte jeune), être primipare et âgée de 23 ans à 30 ans, avoir arrêté sa scolarité avant la seconde ou niveau CAP-BEP et/ou avoir au moment de l'étude un emploi nécessitant peu de qualification.

Cette étude comprenait trois entretiens cliniques associés à la passation d'échelles d'évaluation. Le premier avait lieu au
cours du troisième trimestre de la grossesse, le second trois jours après l'accouchement et le troisième 2 mois après l'accouchement.

C'était à l'occasion de ce dernier que les interactions précoces mère-bébé étaient évaluées à l'aide d'un enregistrement
vidéoscopé au domicile Deux séquences ont été filmées : une de jeu (hochet) et une d'alimentation sans autre consigne que de faire comme d'habitude .

Entre août 2000 et décembre 2001, nous avons rencontré 25 mères adolescentes et 25 mères adultes jeunes.

Un des problèmes majeurs rencontrés auprès de notre population clinique a été notamment la difficulté de ces jeunes filles à se mettre au service de l'adulte d'où le nombre restreint de notre échantillon, phénomène s'amplifiant au fur et à mesure de l'étude.

En effet, 17 mères adolescentes ont refusé l'étude contre 5 mères adultes jeunes et 9 mères adolescentes ont arrêté l'étude contre 2 mères adultes. Nous avons également remarqué que les 17 adolescentes refusant l'étude étaient plus dans la rupture, en particulier pour le suivi gynécologique de leur grossesse. Ainsi, la population des mères adolescentes de notre étude est loin d'être représentative de l'ensemble des mères adolescentes. De ce fait, les résultats obtenus avec notre population clinique n'en sont que plus représentatifs dans la mesure où nous pouvons considérer qu'ils sous-estiment certainement la réalité.

Dans notre étude, le risque de grossesse précoce est associé à un certain nombre de facteurs familiaux et environnementaux.

Les parents des jeunes filles sont fréquemment séparés et les relations mères-filles sont conflictuelles durant l'adolescence.

Il arrive souvent que les relations avec la grand-mère maternelle se modifient de manière positive au moins durant la grossesse et dans certains cas, ce rapprochement se fait de manière exclusive en éloignant la future mère adolescente du reste de la famille. L'enfant à naître est dans une relation dyadique, s'inscrivant d'emblée dans une conflictualité familiale. Ainsi, l'inscription dans la triangulation est conflictuelle.

Nous ne notons pas de différence significative concernant la fratrie, les antécédents psychiatriques et la précarité du travail des parents.

Dans notre échantillon, la probabilité de survenue d'une grossesse à l'adolescence est également associée à des facteurs individuels tels que la précocité au niveau pubertaire et au niveau des relations sexuelles.

Elles présentent également des conduites addictives en plus grand nombre : alcool, substance toxique, consommation importante de tabac. En revanche, nous ne pouvons pas faire de lien de cause à effet mais nous notons une accumulation de facteurs de risque.

En effet, les adolescentes ayant les relations sexuelles les plus précoces sont celles qui présentent également un désinvestissement scolaire, une puberté précoce et qui consomment des produits illicites.

Donc, à l'adolescence, avoir des règles précoces quand on est d'un milieu socio-économique défavorisé est un facteur de risque de sexualité précoce et par conséquent de grossesse précoce.

Concernant la grossesse proprement dite, elle apparaît répondre à un désir conscient. Les jeunes filles de notre étude expriment un désir de grossesse et nous pouvons imaginer la difficulté des campagnes d'utilisation de préservatif, de contraception qui achopperont sur ce désir qui est en même temps une vérification quand à la crainte d'être stérile.

Du point de vue médical, nous ne notons pas de différence significative entre nos deux populations pour la grossesse, l'accouchement, le postpartum immédiat et tardif. Néanmoins, il faut rappeler que les adolescentes participant à l'étude sont comparées à une population de mères de même milieu socio-économique et qui d'autre part, ont bénéficié pour la plupart d'un suivi régulier durant la grossesse.

Concernant le vécu de la grossesse, la plupart des mères se sentent soutenues par les pères géniteurs avec lesquels elles décrivent une relation satisfaisante.

Par contre, les mères adolescentes verbalisent plus d'affects anxieux par rapport à l'accouchement. Leur manière de gérer cette angoisse est particulière: elles la mettent à distance en refusant de participer aux cours de préparation. A propos de cette crainte de l'accouchement, nous pouvons faire le lien avec leur consommation tabagique. En effet, contrairement aux mères plus âgées, les adolescentes diminuent mais n'arrêtent pas de fumer pendant la grossesse. Fumer peut-il être une stratégie pour avoir un « petit bébé » dont l'accouchement serait supposé plus facile ? Le fait que le bébé soit petit à la naissance les rassure, par rapport à la peur d'une disproportion entre leur bassin et la taille du bébé.

L'étude a permis de confirmer que ces grossesses se produisent dans un contexte de mal-être psychologique où les traits dépressifs sont très souvent présents. Nos mères adolescentes sont souvent plus déprimées que l'ensemble des adolescentes et plus souvent que les mères plus âgées. Ainsi, aux trois évaluations, 50% des mères adolescentes ont un score à la M.A.D.R.S. supérieur ou égal à 15 contre 10% chez les mères adultes jeunes.

On peut se poser la question à savoir si l'enfant n'est pas un facteur de déni de leur dépression. Comme elles sont enceintes, elles dénient leur dépression car d'une certaine manière, elles ont ce qu'elles ont recherché et sont difficilement accessibles aux soins.

C'est en période périnatale que nous obtenons les scores les moins élevés. Dans leur discours, les adolescentes décrivent cette période comme idyllique. Elles sont fières, émerveillées par leur bébé, prêtes à tout changement pour lui. De plus, le bébé n'est pas encore trop actif, trop demandeur, ce qui contribue pour une part à cet émerveillement. Le bébé a en quelque sorte un effet thérapeutique. Néanmoins, les besoins et les exigences de l'enfant apparaissent à moyen terme ce qui peut les mettre en difficulté d'où une augmentation des scores à la M.A.D.R.S. C'est à partir de ce moment que ces bébés deviennent des bébés à risque parce qu'ils bougent, sont demandeurs et que les mères commencent à ne pas les supporter, à se sentir désemparées.

Enfin, l'observation des interactions précoces mère-bébé a permis de dégager certains comportements spécifiques chez les mères adolescentes de notre échantillon.

De manière générale, elles ont tendance à moins parler au bébé et à propos du bébé. Elles sont moins expressives, font moins de commentaires, ne les imitant presque pas. Elles présentent des difficultés à régresser.

Elles expriment plus d'affects négatifs accordant des intentions négatives à leur bébé.

Elles apparaissent moins engagées dans la relation avec celui-ci, ce qui tend à accentuer au fur et à mesure de la séquence interactive.

Par rapport à leur positionnement par rapport au bébé, nous notons une attitude de « tout ou rien », c'est à dire, soit elles sont distantes voir abandonniques, soit « collées » avec le regard fixé sur leur bébé.

Elles peuvent avoir un comportement intrusif, ne respectant pas toujours le rythme de l'enfant avec pour conséquence un désengagement de la relation de ce dernier.

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